Extrait de la nouvelle : MÉLISSYA

Publié le 28 Juin 2021

MÉLISSYA

Clôture 802 après la naissance du premier homme.

Ville de Klèque, Région de l’Alen.

« Beck ? Croyez-le ou pas, c’est un tombeur ! Elles veulent toutes le mettre dans leur couche. Je comprends pas qu’un borgne puisse séduire autant. Qu’est-ce qu’elles me reprochent, à moi ? »

Le Gnome

Mélissya a les yeux d’un noir opaque, comme la mélasse. En ce moment, ils sont penchés sur Beck le borgne et sont écarquillés par la peur. La jeune fille est si effrayée qu’elle n’arrive plus à produire le moindre son. Pourtant, quelques minutes auparavant encore, elle bavardait d’une voix légèrement aiguë ponctuée de petits cris de plaisir. Beck avait réussi à défaire son corsage et après des baisers dans le cou, il avait commencé à descendre le long de sa gorge pour laisser sa bouche errer sur la pointe d’un mamelon.

Mélissya sait que le borgne quitte régulièrement sa montagne, avec son comparse le gnome, pour venir vendre en ville la viande des animaux qu’ils chassent tous les deux. À chacune de leurs visites, ils passent un peu de bon temps à la taverne de Pit.  Sans relâche et au moyen d’innombrables messages laissés aux bons soins du tavernier, Mélissya a fait savoir à Beck qu’elle souhaiterait le rencontrer. Ce soir, quand il s’est engouffré dans sa chambre, la jeune fille n’a pas été surprise. Elle avait toujours pris soin d’indiquer qu’il existait un passage secret pour pénétrer à l’intérieur de sa gigantesque demeure. Toute à la joie de découvrir enfin les talents de séducteur du borgne, dont la renommée n’était plus à faire, elle n’a pas remarqué son étrange aspect. Elle n’a pas trouvé bizarre qu’il ait si peu de cheveux, un nez épaté et une lèvre inférieure plus charnue que la supérieure ; loin du portrait qu’on lui en avait fait. Beck est sans doute plus habitué à fréquenter les bouquetins, les lièvres et les loups que les dames et, de ce fait, il a perdu l’habitude de faire attention à sa mise. Le plus souvent, il se présente en ville avec ses vieilles hardes et sa transpiration de l’avant-avant-veille. Qu’importe ! Son charme est bien plus fort que son odeur ! Néanmoins, il lui a paru moins grand qu’elle l’imaginait.

Peu après qu’il ait commencé à embrasser la jeune fille, on a frappé d’un coup sec à la porte. Affolée, Mélissya a poussé son amant par la fenêtre, en espérant qu’il pourrait tenir debout sur la corniche qui entoure la façade. Mais la corniche est étroite… trop étroite.

À présent, il est accroché par le bout de ses doigts à la minuscule margelle. Mélissya finit par lâcher un soupir. Tant pis, elle doit aller ouvrir.

L’individu, en posture délicate, doit avouer qu’il aime toutes les femmes. Il n’est pas difficile quant à leur physique. Il est juste attentif à leurs regards. Il guette cette petite étincelle au fond de leurs prunelles qui l’avertit que la personne est prête à mille et une coquineries pour satisfaire sa sensualité. Il reconnaît que sans une petite dose de sorcellerie les dames ne lui accorderaient aucune attention. Sacrée, soit la poudre noire ! Elle lui permet de collectionner une multitude de conquêtes. À ce titre, Mélissya ne rentre pas dans les canons de beauté de la Clôture 802 de la ville de Klèque. Son nez est bien trop proéminent, ses bourrelets bien trop débordants, et ses dents bien trop espacées pour plaire à la plupart des hommes. La donzelle semble s’en ficher, elle obtient toujours ce qu’elle veut. Pour cela, elle a renouvelé ses avances auprès de Beck de manière incessante. Le gnome a lu toutes les missives qu’elle lui a adressé. Tout à l’heure, l’occasion s’est présentée : Beck et lui se trouvaient en ville. Ils ont quitté la taverne de Pit à la nuit tombée. Chacun s’est séparé, prétextant une dernière course à faire. Et voilà que l’un d’entre eux va mourir pour les yeux noirs de Mélissya.

Coucher avec elle représentait une double opportunité. La première est que la petite est prête à toutes les folies pour découvrir enfin les plaisirs des caresses. La seconde est qu’elle est la fille du Recteur de la ville : Gédélamus Carniveille. Quelle immense satisfaction de voler un peu d’amour à sa progéniture ! Une petite vengeance personnelle. Non pas que le Recteur mène la vie dure aux deux compagnons des montagnes, comme il le fait avec tous les habitants de Klèque ; mais les injustices sont devenues trop fréquentes. Depuis qu’il a pris le pouvoir, à la Clôture 795, le Recteur fait régner la terreur. Il promulgue des lois qui dépossèdent et avilissent les Kléquois. Certes, la région de l’Alen a toujours été marquée par la violence mais là, c’est trop ! Les sombres plans du Recteur doivent cesser. L’être en suspens au-dessus du vide se souvient que l’Alen était le berceau d’une ancienne civilisation qu’on appelait les « Pures Matières ». Pétris de haine et de soif de vengeance, les monstres qui en étaient issus ont dû laisser, à tout jamais dans la terre, l’empreinte de leurs gènes pervers.

Mais cela a peu d’importance, maintenant. Ses forces vont lâcher. Le bout des doigts de l’amant est tout blanc. Il sent sa dernière heure arriver. Mélissya est partie ouvrir la porte sur laquelle on tambourinait férocement. L’être suspendu songe qu’il n’est plus utile de faire semblant : il n’est plus nécessaire de garder une apparence trompeuse. Pour redevenir lui-même, il ferme les yeux, se concentre et dans un éclair de poudre noire, il reprend sa forme initiale. Il bougonne, parce qu’il s’est encore fourré dans une sale histoire et que ce sera peut-être la dernière. Il est accroché à vingt pieds de haut : de quoi s’écraser comme un fruit mûr en contrebas, sur le pavé de la cour de la forteresse, que Gédélamus appelle pompeusement un « château ».

De son côté, tapis dans l’ombre, Beck le borgne pense au gnome, ce petit être chauve, doté d’un menton en avant et d’une lèvre inférieure un peu trop épaisse qui lui prodigue en permanence conseils, mises en gardes et remontrances. « Comme s’il était un grand sage, alors qu’il n’y a pas plus menteur, voleur et escroc que lui ! ». Quand est-ce la dernière fois qu’il a pu compter sur lui ? Le gnome se défile très vite. Il n’est pas courageux et n’irait pas risquer sa vie pour sauver celle de son compagnon. Beck en est persuadé. À cet instant, il s’inquiète de savoir combien de fois ce fichu animal a usé de sorcellerie pour embobiner et trahir la confiance de jeunes femmes. Il va le lui faire payer cher. « Attends un peu que je te choppe ! » se dit-il.

... (la suite sur le site du cabinet d'édition : PLUMES ASCENDANTES) merci.

https://plumesascendantes.fr/produit/nouvelles-fantasy-de-lunivers-des-gardiens-de-lequilibre/

Rédigé par Cathy de Saint Côme

Publié dans #Les Gardiens de l'Équilibre

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